Bonnie Colin est née en 1971 à Longwy.
Elle a quitté Paris pour la région d’Angers où elle vit et travaille depuis 2011.
Le parcours artistique atypique de Bonnie Colin a emprunté des chemins riches et variés, de la Mode au Théâtre en passant par la décoration.
Elle entre à 18 ans chez Christian Dior, et continue de fréquenter assidûment les cours du soir à l’ENSB-A. À 20 ans, elle intègre l’École d’Art de la Glacière à Paris, en section Peinture.
Bonnie décroche simultanément différents contrats à la Comédie Française et à l’Opéra Garnier.
En 1996, à tout juste 25 ans, elle rencontre Christian Lacroix, alors costumier lors de la création de la pièce Phèdre montée « au Français ».
Elle a un coup de foudre immédiat pour l’univers très foisonnant du créateur et en 2001 elle intègre le Studio de Design Textile de cette grande Maison. Puis, en indépendante, elle prolonge cette collaboration avec Monsieur Lacroix jusqu’en 2007.
Elle créera également des dessins textiles pour Cacharel, Sonia Rykiel, Chacok, ou encore Guilty Brotherhood à New York.
Paysage sans possession
Ici règne la fluidité. Celle de l’eau, qu’évoquent certains tableaux. Mais plus encore celle de la peinture et du monde que fait naître l’art de Bonnie Colin : un monde qui ne lui appartient pas, un monde qu’elle ne cherche pas à posséder. Quelque chose de fluide s’écoule, que rien n’arrête, pas même la main de l’artiste qui accompagne ce flux – un perpetuum mobile, la vie.
Il est si rare de rencontrer un paysage dénué de toute trace d’appropriation qu’il faut, pour commencer, souligner cela. Bonnie Colin ne peint pas son paysage : elle ne tente pas, par l’art, de faire sien un monde regardé, ce qui n’implique pourtant de sa part ni distance, ni indifférence, mais une autre manière de jouir, dans le présent de la peinture, de cette rencontre furtive et précaire qu’elle nomme paysage. Rencontre à recommencer, à chaque instant, à chaque tableau, entre perte et saisie nouvelle. On ne se baigne pas deux fois dans le même paysage.
Celui de Bonnie Colin est vertical, mi-miroir mi-fenêtre. On ne l’y voit pas, mais on devine à chaque instant, dans chaque touche, son regard : cette manière de voir et de sentir sans laquelle cette peinture n’existerait pas. Car le paysage n’est pas la nature en soi : il est la nature éprouvée par celle ou celui qui s’y confronte. Colin, manifestement, l’éprouve à la façon d’une ouverture – une fenêtre, disais-je – par laquelle il est possible de rentrer, par laquelle il faudra à un moment ressortir. Comme l’écrivait, en 1810, Heinrich von Kleist à propos du Moine au bord de la mer de Caspar David Friedrich, cet autre paysage de la fluidité : « Mais encore faut-il être allé là, et en revenir, alors qu’on voudrait passer de l’autre côté et que c’est impossible. » C’est ce double mouvement, cet aller-retour sans lequel l’art ne serait qu’une bascule dans un fusion rêvée, qui donne à cette peinture son extrême fluidité. Une chose se donne – végétale, liquide – une chose s’échappe. Chaque tableau est comme le même tableau recommencé : semblable et jamais pareil. D’un tableau à l’autre, d’un moment à l’autre, la tonalité change. Bonnie Colin peint la lumière, même lorsqu’elle va vers le noir. D’un tableau à l’autre, la temporalité change. Cet art a ses saisons. Un temps cyclique l’anime et le traverse : tout change, tout revient, rien ne change. La fluidité c’est ce qui lie : la forme vive de la continuité.
Ça tient à presque rien, cette peinture quasi défaite, parfois, où les touches se rencontrent juste assez pour faire encore forme. L’abstraction est là, au bord du paysage, comme un pas de plus vers ce que la fenêtre découvre. Il s’agit de lâcher prise, de sortir du dualisme occidental dans lequel l’esprit, toujours, a la main sur le corps. Il s’agit d’aller, par la peinture comme acte, vers la dépossession choisie de soi et du monde.
Ça tient à beaucoup, aussi, ces tableaux qui soudain se remplissent, comme sous l’effet d’on ne sait quelle marée qui lavera tout à l’heure la toile, la ramenant au presque rien. La dépossession est un apprentissage sans cesse à recommencer. Le paradis se trouve et se perd, le paysage a une part obscure, qui tantôt affleure, tragique, tantôt s’enfouie, laissant la place au merveilleux de la vie qui éclot, au gré de cette marée sans fin qui traverse le monde et celle qui le peint. Encore faut-il être allé là, et en revenir, encore faut-il savoir se tenir en lisière, là où se rencontre un tel paysage, sans appropriation.
Pierre Wat