Voir plus
Mars 2024
Catherine Danou ne coche pas les cases. En sortir, y rester sont les vastes questions posées par ses grilles inachevées, couvertes d’empreintes, d’écritures, de signes indéchiffrables tracés à la main ou au pinceau. Avec cet index de taches a priori semblables et pourtant différentes, l’ex-juriste renverse l’ordre établi. Le Lokta, son support favori, se range à son avis : fabriqué à l’Est de l’Himalaya, ce papier traditionnel népalais recèle des ficelles qu’elle enlève ou dédouble, modifiant la trajectoire de ces lignes de vie. Nuance et consistance varient selon la saison des pluies : neige ou café, frêle ou armé, le profil, jamais type, guide sa “musique” jouée sans cesse en sourdine. Qu’elle trafique l’envers, blanchisse ou bâtisse l’endroit, Danou va à l’économie, écartant les gestes inutiles pour faire place au hasard. Ainsi de ses “coïncidences”, papiers déchirés assemblés à la hâte selon les accords de bords, les désaccords de tons. Sa gamme “rabattue” n’est pas sans couleurs : rouge et menthe, bleu et jaune forment ça et là des couples désunis dont l’harmonie rappelle les partitions de Paul Klee, de Nicolas de Staël. Ailleurs, l’outrenoir de Soulages infuse ses trames proches des alphabets secrets d’Henri Michaux ou de Pierrette Bloch. Car c’est dans l’intervalle, là où “l’œil circule”, affranchi mais partout sollicité, que l’œuvre parle. Ou plus exactement, “murmure”.
Dans la terre, seules ses mains plongent, mais tout son être se noie. La pêche est souvent bonne. Car Lili Delaroque remonte dans ses filets des perles par milliers. Pâles ou brunes, couleur de sable ou d’algue, ces corolles mates en céramique semblent venues du fond des mers. Chacune a sa forme fragile, ses courbes lisses, comme polies par le ressac, parfaitement imparfaites. Lili Delaroque accueille l’accident : vivante, sa matière première lui tient tête, docile quand elle est zen, rebelle quand son esprit s’égare, que ses gestes se font gauches. Aussi veille-t-elle à garder l’équilibre, cette paix intérieure sans laquelle rien n’arrive. Elle qui voue un culte au Japon, une passion ancienne jamais passée, dit “honorer” l’argile qu’elle regarde monter, sécher, avant de l’enfiler sur des ficelles de chanvre, du métal rouillé, de vieux lins, toutes sortes d’objets trouvés, naturels et pauvres. Ainsi de cette corde nippone rayée de grès beige et bleu cobalt, entortillée au mur comme la mue d’un serpent. Ou de ce Noren bricolé avec des coussins fatigués, “galettes” soufflées à la palette crème reliées les unes aux autres par des “plus”, croix profanes cousues à intervalle régulier. Nasses ou colliers, ces antiquités cultivent l’art de la main, un art insulaire, nourricier, celui des origines. Et invitent au voyage immobile, souvenirs d’un quelconque rite, avant-goûts d’un possible départ
Virginie Huet