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Avril 2023
PLAY !
Pola Carmen & Prudence Dudan
Amelie, maison d'art expose pour la première fois en Belgique !
Pola Carmen
C’est une grille, un dédale, un tricot. Il n’en est rien d’après Pola Carmen, qui n’y voit que des traits, dans un sens et dans l’autre, qu’une suite sans fin d’abscisses et d’ordonnées, qu’un dessin sans dessein, en somme. Voilà quinze ans qu’elle trace des lignes à main levée, au pastel gras ou au bâton d’huile, sur des toiles apprêtées tendues comme un arc, “aussi sonores que la peau d’un tambour”. Sur ce fond uni allant du gris au café crème, sa trame tremble et penche, mise exprès “de travers”. Rouge géranium, bleu de Prusse, blanc antique, jaune citron, orange de Chine... La couleur unique, vive ou sourde selon l’humeur, tâche de ne pas distraire l’œil qui, pris au piège de ce filet flottant, parvient toujours à passer entre ses mailles étroites. Car Pola Carmen, amène, lui ménage une porte de sortie afin qu’il se perde à loisir avant de s’engouffrer dans la brèche ouverte ici ou là, rarement au centre. L’emplacement de ce vide ne répond à aucune logique, pas plus que ces entrelacs ne prennent pour modèle un motif réel, un objet connu. Pola Carmen n’admet qu’une influence, celle de l’art sobre et systématique de Pierrette Bloch, d’Agnès Martin, de Brice Marden, de Georges Noël, ou de Marinette Cueco. Ces grands monochromes dont les bords gardent en mémoire ses gestes successifs s’appellent “Possible”. Ce mot simple, désignant ce qui peut être fait, se produire, convient bien à son ouvrage aisé, laissé à la libre interprétation de chacun.
Au début, il y a la page. Remplie de mots et d'images, elle n'est jamais blanche. Prudence Dudan la marque selon l'humeur : monotype, dessin, peinture, collage... Les choix sont multiples, les gestes précis. Ils cachent en même temps qu'ils révèlent le contenu original, qui dit autre chose que ce qui était déguisé. Les nuages passent devant une déesse grecque, une dune recouvre un vase espagnol, des herbes s'échappent d'un piège à poissons thaïlandais. Prudence Dudan collectionne les beaux livres qui datent sur des sujets variés, de la cuisine en kit aux tableaux de Courbet. Chacun lui fournit un répertoire suffisamment dense pour que l'esprit et la main s'échauffent, trouvant dans la répétition du motif, l'assouplissement du geste, les moyens d'une gymnastique, une sorte de lecture active. L'effort est faible car le plaisir prévaut, et les choses s'agencent au hasard comme on fait un bouquet. Prudence Dudan improvise. En série et en couleur, elle taquine la surface des supports empruntés avec la malice de Baldessari, et la joie de Matisse. Ses associations libres détournent l'attention, et l'objet d'étude, sorti de son contexte, n'informe plus de la même manière. Seule la somme fournit le sens, qui glisse entre ses doigts, du littéral au figuré. Lassés d'être vus sous des angles connus, plantes, chaises, glaciers, fourchettes, coquillages subissent alors une métamorphose. Car enfin, son encyclopédie parallèle investit le domaine du rêve.