Expositions

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Aux contours effacés

Delphine de Luppé & Tanguy Tolila

Novembre 2023

Delphine de Luppé

Sur des papiers anciens couverts de mots et d’images d’avant, Delphine de Luppé trace de nouveaux signes, au crayon, à l’acrylique ou au bâton d’huile. Comme si, infiniment, elle relisait l’histoire. Livres, traités, cartes postales, guides de voyage, héliogravures… Les sources varient. Presque toutes subliment le bâti des siècles passés, ces ruines et monuments inspirant le respect. Cette manie d’emprunter, d’œuvrer d’après modèle, sans doute héritée des carnets de croquis qu’elle noircissait jadis de copies du Louvre, lui vaut de tutoyer ce qui nous précède et qui, pour sûr, nous survivra. Aussi, parmi la poignée de motifs figurant à son répertoire, l’arche est reine. À la fois creux et cime, elle soutient et relie, jette un pont entre le monde d’hier et sa vision des choses. Car ici, reprendre veut dire continuer, et même quand le fond d’origine se noie sous un lacis de lignes proche du graffiti, il ne disparaît pas. Ailleurs, le jeu vire au trompe-l’œil, voire au cadavre exquis : formée à l’architecture éphémère, Delphine de Luppé ruse avec la perspective, les éléments de décor, greffant çà et là un lustre, un chapiteau, une paire de rideaux, échafaudant des plans, soignant ses mises en scène. À force de remonter le temps, l’archive s’actualise. L’impression aboutie retourne au stade d’esquisse, et puis inversement : à coups de traits naïfs, le gras du pastel écrit la suite des événements. 

Virginie Huet

Tanguy Tolila

Papier calque, carte d’état-major, partition de musique, couverture de livre, patron de couture, bois d’épave… De toutes les matières, Tanguy Tolila préfère celles marquées par leur vie antérieure. Parfois centenaire, leur peau mûre fait des plis, rides que l’artiste chérit. Car elles lui servent de trame, de guide. Chaque couche de jus joue le jeu, révélant, en toute transparence, les signes de l’âge. Après le glacis vient la ligne, vraie signature. Plus ou moins épaisse, droite ou courbe, elle s’étire ou se brise, en croise une autre, fait un tour, une pause, laissant le cœur en paix. Tanguy Tolila tient à ce silence intérieur, sensible au style Bauhaus de Mies Van der Rohe, ennemi du superflu. Graphique, quasi géométrique, l’ensemble est “pur et dur”, sorte d’architecture bâtie autour de formes élémentaires, jamais “molles” et toujours “en tension”, de tons sourds qui “grincent”. Il arrive que des touches de jaune, d’orange, de vert ou de violet égaient le gris de ses grilles, comme des confettis semés sur un trottoir, ou les éclats du marbre. Il s’agit là sans doute de l’unique fantaisie de son art sobre, plein de délicatesse envers des objets de seconde main, supports fétiches de sa peinture. Ainsi de ces ballons de basket usés, fossiles lézardés ou maculés de taches proches des ectoplasmes de Claude Viallat. Ces “planètes” figurent, avec ses “échelles”, parmi les seuls motifs connus de son système sommaire, où ne flottent sinon que des rochers à l’horizon.

Virginie Huet